Le suivi des maladies des animaux sauvages est une préoccupation des gestionnaires d'espaces naturels, notamment pour ce qui concerne les interactions avec la faune domestique. Dans les Écrins, le chamois fait figure d'espèce "sentinelle" pour les maladies transmissibles entre ongulés. Des études récentes montrent l'existence de pestiviroses qui posent plusieurs questions.
La question de la santé de la faune sauvage s'invite souvent dans les discussions... Pourtant, les maladies des ongulés sauvages sont une réalité..."normale". En général, elles leur sont propres et elles contribuent à la dynamique de la population (pasteurellose, variante "sauvage" de la kératoconjonctivite...). La pathologie des animaux sauvages est devenue une préoccupation des gestionnaires d'espaces naturels, essentiellement en raison des interactions possibles avec la faune domestique.
Une importante enquête sur les maladies de la faune sauvage avait eu lieu au début des années 80, à l'initiative du laboratoire départemental vétérinaire des Hautes-Alpes. Les résultats montraient alors, pour les affections recherchées à l'époque, la rareté des maladies communes aux animaux sauvages et aux animaux domestiques.
Depuis, quelques épisodes de pathologie d'origine domestique ont été observés sur la faune sauvage : brucellose ovine sur le chamois en 1989 au col du Lautaret, piétin en Haute-Savoie sur le bouquetin, ecthyma décimant les chamois en Belledonne ou à Chamonix, maladie des abcès sur les chamois et les bouquetins de l'Oisans, tuberculose chez le cerf et le sanglier en Normandie... Ces constats ont conduit à s'intéresser de plus près aux maladies communes à la faune sauvage et aux espèces domestiques, ainsi qu'aux risques de transmission.
La veille sanitaire
L'étude des maladies de la faune sauvage répond à des considérations environnementales (conservation et protection des espèces sauvages), de santé publique (certaines maladies sont transmissibles à l'homme) et économiques. Certaines activités peuvent en effet être compromises par l'existence de maladies réglementées sur la faune sauvage (flux commerciaux et exportation des animaux d'élevage par exemple).
"Dans le parc national des Écrins, le chamois, espèce sentinelle, est assez bien surveillée. Près de 4000 chamois sont observés "en détail" à la longue-vue chaque année et moins de 1% d'entre eux montrent des signes manifestes de maladie. Toutefois toutes les maladies ne s'expriment pas avec des symptômes visibles" explique Michel Bouche, technicien de l'environnement au Parc national. Vétérinaire de formation, il est plus particulièrement chargé de coordonner ces suivis, en lien avec le laboratoire départemental vétérinaire des Hautes-Alpes.
"Les cadavres de différentes espèces, mais en particulier ceux des chamois, des chevreuils et des bouquetins recueillis sur le territoire du parc – c'est à dire une très faible proportion des individus morts « naturellement » compte tenu de la rapidité de disparition des cadavres dans la nature - font l'objet d'autopsies lorsque c'est possible. Diverses pathologies sont diagnostiquées (kératoconjonctivite, broncho-pneumonie, parasitisme...) mais aussi des cas d'empoisonnement."
Des chasseurs contribuent aux études
Pour compléter cette surveillance, des prélèvements de sang ont été demandés aux chasseurs de chamois pour analyse, dans le cadre d'une étude avec la fédération départementale des chasseurs et le laboratoire départemental vétérinaire des Hautes Alpes. Il s'agit de rechercher la présence de maladies, habituellement connues chez les animaux d'élevage, et, le cas échéant, d'estimer (avec l'incertitude liée à la taille des échantillons) la proportion d'animaux porteurs et/ou ayant été en contact.
En 2010 et 2011, le Parc national des Ecrins a piloté cette opération sur les communes de Réallon, Châteauroux-les-Alpes, Villar-d'Arène, Le Monêtier-les-Bains et Vallouise.
En simplifiant un peu, on peut dire qu'un résultat sérologique positif indique la présence d'anticorps et donc que l'animal a été en contact avec l'agent responsable de maladie. Il peut s'agir d'un simple contact sans suite pour l'animal contaminé ou d'un contact ayant été suivi de maladie, éventuellement guérie à la date du prélèvement.
Il faut aussi savoir que les symptômes provoqués par un agent pathogène peuvent être différents sur deux espèces différentes et que toutes les espèces ne présentent pas la même sensibilité aux agents infectieux. Chez les animaux sauvages, cette sensibilité varie au cours de la saison, se traduisant par des pics de mortalité pendant les périodes de disette hivernale. Les facteurs environnementaux (dérangements, stress, qualité de l'alimentation...) jouent en effet un rôle important dans l'apparition éventuelle de maladies cliniques.
Enfin, lorsque qu'un micro-organisme responsable d'une maladie passe d'une espèce à une autre, il se modifie : le retour à l'espèce d'origine n'est pas toujours possible et la maladie devient alors spécifique de l'espèce contaminée.
"Il faut avouer que, dans ce domaine, l'état des connaissances est encore partiel. Ce type d'étude devrait contribuer à y voir plus clair" précise Michel Bouche.
Des pestiviroses à suivre...
En 2009, 40 prélèvements ont été recueillis sur 2 communes. En 2010, ce sont 121 prélèvements réalisés sur 5 communes qui ont été transmis. "Cette progression montre bien la forte implication des chasseurs dans cette opération".
Seuls 81 prélèvements, soit environ la moitié, ont pu être analysés à cause de souillures liées à la difficulté de prélever du sang frais.
Les connaissances concernant la circulation des pathologies entre la faune sauvage et la faune domestique sont encore partielles.
Les résultats de 2009 et 2010 permettent de conclure, sous réserve de l'aléa statistique lié à la taille de l'échantillon, qu'il n'y aurait pas de problème local avec la brucellose, la chlamydiose, la salmonellose, la fièvre Q, la toxoplasmose, la fièvre catarrhale ovine, la paratuberculose et le CAEV, hormis quelques cas isolés et accidentels pour lesquels on peut exclure la circulation d'agents pathogènes dans la population sauvage.
En revanche, 21 résultats sont positifs et 9 douteux pour les pestiviroses.
Chez les ongulés domestiques, ces maladies provoquent entre autres des troubles de la reproduction et de la croissance des jeunes (Border disease chez les ovins), des troubles respiratoires et digestifs (maladie des muqueuses chez les bovins).
Ces résultats posent plusieurs questions.
- On se demande combien de chamois ont réellement été en contact avec le virus ?
Compte tenu du nombre d'échantillons, la fourchette statistique varie entre 15 et 30 %, ce qui confirme la circulation d'un virus dans la population de chamois.
- Les chamois séropositifs prélevés hébergent ils le virus ou sont-ils juste sensibilisés?
- L'épisode pathologique est-il contemporain ou passé ?
- Cette pestivirose est-elle une maladie spécifique du chamois, comme elle l'est chez l'Isard dans les Pyrénées ou bien est-elle transmise par les moutons estivants dans le massif ? En effet, il existe une pestivirose chez l'Isard dans les Pyrénées, qui entraine des troubles cutanés (dépilations), des troubles reproducteurs, respiratoires et de l'affaiblissement.
- Est-il possible que des chamois porteurs sains séronégatifs mais contagieux pour les autres individus existent ?
Pour répondre à ces questions, les chasseurs ont prélevé des rates lors de la campagne de chasse 2010. L'analyse de ces dernières courant 2011 devrait permettre de répondre en partie à ces questions.
... et des mesures à prendre
"Si on peut dire que l'état sanitaire des chamois sur le massif des Ecrins est globalement bon, l'apparition et la relative importance de la prévalence des pestiviroses retient l'attention des gestionnaires du territoire, tant pour l'impact potentiel de cette maladie sur les populations sauvages que pour les mesures à mettre en place afin de limiter les interactions entre faune sauvage et faune domestique" résume Michel Bouche.
Une étude menée en Vanoise, Ecrins et Bauges dans les années 1995, indique une relation directe entre transmission d'agents parasitaires et modalités de cohabitation entre grande faune sauvage et cheptels domestiques. La qualité de la gestion pastorale est une des clés de la prévention des risques sanitaires en alpage.
"Les mesures agro-environnementales qui nécessitent la présence d'un berger conduisant les troupeaux en alpage, diminuent considérablement le risque de contact et de transmission de maladies entre faune sauvage et faune domestique. C'est l'une des solutions à envisager pour faire face à ce problème."